Chapitre V

 

 

 

 
La véritable légende de l’Antéchrist racontée par le R. P. Bataillet sur le pont du « Tutu-Panpan. »
 
 
C’est encore au paradis que je vous emmène, mes enfants, dans cette vaste antichambre bleu-de-roi où se tient le grand saint Pierre, son trousseau de clefs à la ceinture, toujours prêt à ouvrir sa porte aux âmes des élus, lorsqu’il s’en présente ; malheureusement, depuis des années et des années, l’humanité est devenue si méchante, que les meilleurs, après la mort, s’arrêtent au purgatoire, sans aller plus haut, et que le bon saint Pierre n’a pour toute besogne qu’à passer ses clefs rouillées au papier de verre, et à chasser les toiles d’araignées tendues en travers de sa porte comme des scellés de justice. Par moment, il a l’illusion que quelqu’un frappe. Il se dit :
 
« Enfin… En voilà un, ce n’est pas trop tôt… ».
 
Puis, son guichet ouvert, rien que l’immensité, l’éternel silence, les planètes immobiles ou roulant dans l’espace avec un bruit doux d’orange mûre détachée de la branche, mais pas l’ombre d’un élu.
 
Pensez quelle humiliation pour ce bon saint qui nous aime tant, et comme il se désole de jour et de nuit, comme il en tombe de ces larmes brûlantes, dévorantes, qui ont fini par creuser au long de ses joues deux ornières profondes pareilles à celles qu’on voit sur les routes des carrières entre Tarascon et Montmajour !
 
Or, une fois que saint Joseph, venu pour lui tenir compagnie, car à la longue il s’ennuyait, le pauvre porte-clefs, toujours seul dans son antichambre, une fois donc que saint Joseph lui disait pour le consoler :
 
« Mais, en définitive, qu’est-ce que çà peut te faire que ces gens d’en bas ne se présentent plus à ton guichet ?… Est-ce que tu n’es pas bien ici, caressé des plus douces musiques et des odeurs les plus suaves ?… ».
 
Et tandis qu’il parlait ainsi, du fond des sept ciels ouverts en enfilade se coulait une brise tiède chargée de sons, de parfums, dont rien ne saurait vous donner l’idée, mes chers amis, pas même ce goût de citronnelle et de framboises fraîches que l’haleine de mer nous souffle depuis un moment dans la figure, de ce grand bouquet d’îles roses sous le vent.
 
« Hé ! fit le bon saint Pierre, je ne m’y trouve que trop bien dans ce paradis de bénédiction, mais j’y voudrais tous ces pauvres enfant avec moi… ».
 
Et brusquement pris d’indignation :
 
« Ah « les gueux, ah ! Les imbéciles…
 
Non, vois-tu, Joseph, le Seigneur est trop bon pour ces misérables… Et à sa place, je sais bien ce que je ferais.
 
– Que ferais-tu, mon brave Pierre ?
 
– Té ! pardi, un grand coup de pied dans la fourmilière et va te promener de l’humanité ! »
 
Saint Joseph hocha sa vieille barbe… Il le faudrait terriblement fort, tout de même, ce coup de pied qui démolirait la terre…
 
Passe encore pour les Turcs, les Infidèles, ces peuplades d’Asie qui tombent en pourriture, mais le monde chrétien, c’est calé, c’est solide, bâti par le fils…
 
– Justement, reprit saint Pierre… Mais ce que le Christ a bâti, le Christ pourrait aussi bien le détruire. Je leur enverrais mon Fils Divin une seconde fois à ces galériens de par là-bas, et cet Antéchrist qui serait le Christ déguisé aurait tôt fait de vous les mettre en bourtouillade ».
 
Le bon saint parlait dans sa colère, sans bien penser ce qu’il disait, sans se douter surtout que ses paroles seraient répétées au Divin Maître, et sa surprise fut grande quand tout à coup le Fils de l’homme se dressa devant lui, un petit paquet sur l’épaule au bout d’un bâton de route, ordonnant de sa voix ferme et douce :
 
« Pierre, viens… Je t’emmène. »
 
À la pâleur de Jésus, à la fièvre de ses grands yeux cernés qui jetaient encore plus de feux que son auréole, Pierre comprit tout de suite, et regretta d’avoir trop parlé. Que n’aurait-il pas donné pour que cette seconde mission du Fils de Dieu sur la terre n’eût pas lieu, surtout pour n’être pas lui-même du voyage ! Il s’agitait, tout éperdu, les mains chevrotantes :
 
« Ah ! mon Dieu… Ah ! mon Dieu… Et mes clefs, qu’est-ce que j’en vais faire ? » C’est vrai que pour une aussi longue route son lourd trousseau n’était pas commode. « Et ma porte, qui me la gardera ? »
 
Sur quoi Jésus sourit, lisant le fond de son âme, et dit :
 
« Laisse les clefs sur la serrure, Pierre… Pas de risque qu’on entre jamais chez nous, tu sais bien. »
 
Il parlait doucement, mais on sentait tout de même quelque chose d’implacable dans son sourire et dans sa voix.
 
Comme il est dit aux saintes Écritures, des signes dans le ciel annoncèrent la venue sur terre du Fils de l’homme, mais depuis longtemps les humains accroupis ne regardaient plus le ciel, et, distraits par leurs passions, rien ne leur signala la présence du Maître et du vieux serviteur qui l’accompagnait, d’autant que les deux voyageurs avaient emporté de la rechange et se déguisaient en tout ce qu’ils voulaient.
 
Pas moins, dans la première ville où ils arrivèrent, la veille justement qu’un bandit fameux nommé Sanguinarias, auteur de crimes épouvantables, devait être mis à mort, les ouvriers employés à dresser les bois de justice dans la nuit s’étonnèrent de voir travailler avec eux, au feu des torches, deux compagnons venus on ne sait d’où, l’un souple et fier comme un bâtard de prince, la barbe en fourche, des yeux de pierreries, l’autre déjà courbé, l’air bonasson et endormi, deux longues cicatrice en rigole sur ses joues fripées. Puis, au petit jour, l’échafaud debout, le peuple et les autorités en cercle pour le supplice, les deux étrangers avaient disparu, laissant toute la mécanique si étrangement ensorcelée que lorsqu’on eut étendu le condamné sur la planche, le couteau, pourtant bien aiguisé, d’un acier de bonne marque, tomba vingt fois de suite sans parvenir seulement à lui entamer la peau.
 
Vous voyez le tableau d’ici, les magistrats effarés, l’horripilation de la foule, le bourreau bousculant ses aides, arrachant ses cheveux trempés de sueur, Sanguinarias lui-même – il était de Beaucaire naturellement ce malandrin, et joignait à tous ses mauvais instincts un amour-propre diabolique – Sanguinarias très vexé, tournant et retournant son cou de taureau noir dans la lunette, disant :
 
« Ah ! ça… mais qu’est-ce que j’ai donc ?… je ne suis donc pas fabriqué comme les autres qu’on ne peut venir à bout de moi !… ».
 
Et à la fin des fins, les gendarmes obligés de l’emporter de force, de le rentrer dans son cachot, pendant que la canaille hurlante dansait autour de l’échafaud mis en pièces, flambant et crépitant jusqu’au ciel comme un feu de la Saint-Jean.
 
Dès lors en cette ville, et par toute la terre civilisée, il y eut un sort jeté sur les arrêts suprêmes de la justice. Le glaive de la loi ne coupait plus, et comme c’est la mort seule que les assassins redoutent, bientôt un débordement de crimes couvrit le monde, les rues et les chemins ne furent plus tenables pour les honnêtes gens terrifiés, tandis que dans les centrales, bondées par-dessus les toits, les coupe-jarrets s’engraissaient de bons jus de viandes, fendaient la figure de leurs gardiens à coups de sabot, leur faisaient sauter l’œil avec le pouce, ou, simplement par curiosité, s’amusaient à leur dévisser la tête pour voir ce qu’il y avait dedans.
 
Devant le grand dégât causé dans l’humanité rien que par le désarmement de la justice, le brave saint Pierre trouvait qu’il y en avait assez, et, le cœur gonflé de pitié, avec un bon gros rire courtisan :
 
« La leçon est réussie, Maître, et je crois qu’ils s’en souviendront… Pas moins, si nous remontions, maintenant… C’est que, je vais vous dire, j’ai peur qu’on ait besoin de moi, là-haut. »
 
Le Fils de l’homme eut son pâle sourire :
 
« Rappelle-toi, fit-il, le doigt levé… Ce que le Christ a bâti, le Christ seul pourra le détruire !
 
Et Pierre songeait, la tête basse :
 
« J’ai trop parlé, pauvres enfants, j’ai trop parlé ! ».
 
Ils se trouvaient en ce moment sur des pentes fertiles au pied desquelles une riche cité impériale étendait à perte de vue ses dômes, ses terrasses, clochers brodés, tours et flèches de cathédrales où des croix de toutes formes, en marbre et en or, étincelaient dans le couchant paisible.
 
« J’espère qu’ils en ont, par ici, des couvents et des églises ! reprit le bon vieillard, essayant de détourner la colère du Seigneur… ça fait plaisir au moins ! ».
 
Mais vous savez que ce que Jésus méprise sur toute chose c’est le culte hypocrite et somptueux des Pharisiens, ces églises où l’on va à la messe par genre et ces couvents qui fabriquent du garus et du chocolat ; aussi pressait-il le pas sans répondre, et les moissons étant très hautes, par-dessus les blés dans la descente, du formidable destructeur de l’humanité on ne voyait qu’un paquet de hardes sautillant au bout d’un bâton de routier… Et donc, en cette ville où ils entrèrent, vivait un vieux, vieux empereur, le doyen des princes de l’Europe comme il en était le plus juste et le plus puissant, qui gardait la guerre enchaînée aux essieux de ses canons et, par force ou persuasion, empêchait les peuples de se dévorer entre eux.
 
Tant qu’il serait là, il y avait comme un accord tacite de chien à loup que les ouailles brouteraient tranquilles ; après, par exemple, gare là-dessous ! C’est pourquoi tout le monde y tenait, à la vie du bon empereur ; pas une mère qui ne fût prête à s’ouvrir les veines pour lui faire du sang plus vermeil et plus riche.
 
Puis, soudainement, tout cet amour se tourna en haine, un mot d’ordre infernal circula :
 
« Tuons-le…, c’est le bon tyran, le plus exécrable de tous, puisqu’il ne nous laisse pas même le droit à la révolte. »
 
Et sous le palais impérial miné, dynamité, dans la nuit du caveau où les conjurés s’activaient, de l’eau jusqu’à la ceinture vous laisse à deviner quel mystérieux compagnon aux yeux étincelants menait l’œuvre de mort, fermant les cœurs à la peur, à la pitié, et, quand le coup partit, poussant le hourrah suprême…
 
Ah ! Le pauvre empereur, on ne retrouva pas gros de lui sous les décombres ! Quelques flocons de barbe roussie, une main de justice tordue par la flamme ; et tout de suite la Guerre démuselée hurla, le ciel fut noir de corbeaux assemblés au-dessus des frontières, la grande tuerie commença et ne finit plus.
 
Pendant que les peuples s’égorgeaient au moyen d’engins épouvantables, que de toutes parts sur l’horizon les villes prises d’assaut flambaient comme des torches, par les chemins encombrés de bétail en déroute, de charrettes sans conducteurs, le long des champs en friche, des fleuves rouges de sang, des vignes et des moissons impitoyablement massacrées, Jésus de son pas allègre, toujours le bâton sur l’épaule et sur ses talons le bon vieux saint qui essayait vainement de le fléchir. Jésus tirait vers un pays très loin où professait un docteur fameux, du nom de M. Mauve.
 
M. Mauve, grand guérisseur d’hommes et de bêtes, dirigeant à sa volonté toutes les forces de la nature, avait quasiment trouvé la prolongation de la vie humaine ; il y était, il s’en fallait de çà, quand, une nuit, par la maladresse d’un nouveau garçon de laboratoire, très beau, très pâle, et qu’on ne revit jamais plus, plusieurs bocaux remplis de poisons très subtils restèrent débouchés, et au matin M. Mauve, en ouvrant sa porte, tomba raide asphyxié.
 
Du coup la vie humaine ne fut pas prolongée, bien au contraire ; car le savant collectionnait chez lui, pour l’étude, une foule d’anciens fléaux, d’extraordinaires lèpres d’Égypte et du Moyen Age, dont les germes évadés des cornues se répandirent par le monde entier et le désolèrent. Il y eut des pluies de crapauds, empestées et ignobles, comme du temps des Hébreux ; puis des fièvres, jaune, maligne, quarte, tierce, seconde, des pestes, des typhus, un tas de maladies perdues, greffées sur de toutes récentes, d’autre aussi qu’on ne connaissait pas encore, et dans le peuple tout cela s’appelait « le mal de M. Mauve ».
 
Dieu vous garde de ce mal terrible, mes enfants !
 
Les os fondaient comme du verre, les muscles s’effilochaient. On souffrait tant, qu’on ne criait plus ; les malades avant de mourir tombaient par morceaux, s’en allaient en bouillie sur les chemins, et la voirie n’avait pas assez de pelles ni de tombereaux pour les ramasser.
 
« Mâtin ! Voilà une bonne affaire de faite !… disait saint Pierre d’une joie faussement joyeuse où roulaient des larmes…
 
Et à présent, Maître, si nous rentrions chez nous… Je commence à me languir.
 
Jésus savait bien que ce semblant de languison cachait une grande pitié pour les humains, et lui, pourtant si bon, s’était juré de les exterminer jusqu’au dernier. Il faut dire aussi qu’ils lui en avaient tant fait !… on se lasse à la fin.
 
Pour lors, continuant sa route sans répondre, il marchait dans la campagne avec son vieux serviteur par un petit matin vert et rosé, lorsqu’à travers les appels des coqs et toute la bramée animale qui salue le lever du jour, une clameur humaine vint jusqu’à eux, un cri de femme montant à grandes ondes, par épreintes, tantôt immense à déchirer l’horizon, puis s’apaisant en une longue plainte douce, à laquelle ceux qui l’ont entendue une fois ne peuvent plus se tromper. Dans le jour qui commençait, un être arrivait au monde. Jésus, songeur, s’arrêta. S’il en naissait toujours, à quoi servait de les détruire »…
 
Et tourné vers le chaume d’où le cri était venu, il leva sa main blanche en menace.
 
« Pitié !… Maître, pitié pour les tout petits ! » sanglota le brave saint Pierre.
 
Le Seigneur le rassura d’un mot.
 
À cet enfant de lait comme à tous ceux qui naîtraient dorénavant sur la terre, il venait de faire un don de bienvenue. Pierre n’osa pas demander ce que c’était, mais moi je peux vous le dire, mes amis. Jésus leur avait donné l’expérience, à ces pauvres agneaux, et ce fut quelque chose de terrible.
 
Pensez que, jusqu’alors, quand un homme mourait, l’expérience de cet homme s’en allait avec lui. Mais voilà qu’après le don de Jésus, il y eut sur la terre de l’expérience accumulée. Les enfants naquirent tristes, vieux, découragés ; à peine les yeux ouverts, ils découvraient le bout de tout, et l’on vit cette chose abominable : des suicides d’enfants, des tout petits cherchant à se détruire de leurs menottes désespérées.
 
Et cependant ce n’était pas encore assez, la race maudite ne voulait pas s’éteindre et s’obstinait à vivre quand même.
 
Alors, pour en finir plus vite, le Christ enleva aux hommes et aux femmes le goût de l’amour, le sentiment de la beauté. Il n’y eut plus de joie d’aucune sorte sur la terre, plus d’effusion dans la prière ni dans la volupté. On ne cherchait plus que l’oubli de tout, on n’aspirait qu’au sommeil… Oh ! Dormir…, ne plus penser, ne plus vivre…
 
Elle était, comme vous voyez, dans un bien triste état, la pauvre humanité, et n’en avait sans doute plus pour longtemps, car l’infatigable exterminateur hâtait de plus en plus sa besogne. Il parcourait toujours le monde, en errant voyageur, le paquet au bout du bâton, son compagnon derrière lui, bien las, bien courbé, les deux sillons de larmes se creusant davantage le long de ses joues, à mesure que le Maître sur son passage déchaînait les volcans, les cyclones et les tremblements de terre.
 
Or, un beau matin d’Assomption, comme Jésus marchait sur la mer, glissant à la surface des flots ainsi que nous le montrent les Écritures, il arriva au milieu des îles de l’Océanie, dans ces mêmes parages du Pacifique que nous traversons en ce moment.
 
D’un bouquet d’îles tout verdoyant venaient jusqu’à lui sur la brise de mer des voix de femmes et d’enfants qui chantaient des cantiques provençaux.
 
« Té ! s’écria saint Pierre, on dirait des airs de Tarascon. »
 
Jésus se tourna à demi :
 
« De mauvais chrétiens, je crois, ces Tarasconnais ?
 
– Oh ! Maître, ils se sont bien amendés depuis les temps, » s’empressa de répondre le bon saint, craignant que sur un signe de la main divine l’île dont ils approchaient ne s’engloutît sous les flots.
 
Cette île, vous l’avez deviné, n’était autre que Port-Tarascon, où les habitants, en l’honneur de l’Assomption, faisaient une procession solennelle.
 
Et quelle procession, mes enfants !
 
D’abord les pénitents, tous les pénitents, des bleus, des blancs, des gris, de toutes les couleurs, précédés de leurs clochettes qui mêlaient ensemble leur notes de cristal et d’argent. Après les pénitents, les confréries de femmes, tout de blanc vêtues et couvertes de longs voiles comme les saintes du Paradis. Puis venaient les vieilles bannières, si hautes que les figures de saints, aux auréoles tissées en or dans les étoffes de soie, semblaient descendre du ciel au-dessus de la foule. Le Saint-Sacrement avançait ensuite, sous son dais de velours rouge, très lent, très lourd, surmonté de grands panaches, près duquel les enfants de chœur portaient au bout de longs bâtons dorés de grosses lanternes vertes où brûlaient de petites flammes. Et tout le peuple suivait, jeunes et vieux, chantant et priant tant qu’ils avaient de souffle.
 
La procession se déroulait tout autour de l’île, tantôt sur la plage, tantôt au versant des collines, tantôt sur les sommets où les grands encensoirs, balancés, laissaient de légères fumées bleues dans le soleil.
 
Saint Pierre ébloui murmura :
 
« Que c’est beau !… » sans une parole de plus, car il désespérait de fléchir son compagnon, après tant de vaines tentatives : mais justement il se trompait.
 
Le Fils de l’homme, touché au cœur par ces transports de foi naïve, regardait flotter les bannières de Port-Tarascon, et songeait, immobile sur la crête des vagues, regrettant pour la première fois sa mission de mort.
 
Soudain il leva son pâle et doux visage et, dans le silence de la mer apaisée, d’une forte voix qui remplit l’univers, il cria vers le ciel :
 
« Père, Père, un sursis !… »
 
Et ils se comprirent sans plus parler, le Père et le Fils, à travers le clair espace.
 
Le père Bataillet en était là de son récit.
 
L’auditoire silencieux restait sans bouger de place, très ému, quand tout à coup, du haut de la passerelle du Tutu-panpan, le capitaine Scrapouchinat cria :
 
« L’île de Port-Tarascon est en vue, monsieur le Gouverneur. Avant une heure nous serons dans la rade. »
 
Alors tout le monde fut debout et il y eut un grand brouhaha.