Premier épisode : A Tarascon

 
 
 
Du dehors, la maison n’avait l’air de rien.
 
Jamais on ne se serait cru devant la demeure d’un héros. Mais, quand on entrait, coquin de sort !…
 
De la cave au grenier, tout le bâtiment avait l’air héroïque, même le jardin !…
 
Ô le jardin de Tartarin, il n’y en avait pas deux comme celui-là en Europe. Pas un arbre du pays, pas une fleur de France ; rien que des plantes exotiques, des gommiers, des calebassiers, des cotonniers, des cocotiers, des manguiers, des bananiers, des palmiers, un baobab, des nopals, des cactus, des figuiers de Barbarie, à se croire en pleine Afrique centrale, à dix mille lieues de Tarascon. Tout cela, bien entendu, n’était pas de grandeur naturelle, ainsi les cocotiers n’étaient guère plus gros que des betteraves, et le baobab (arbre géant, arbor gigantea) tenait à l’aise dans un pot de réséda ; mais c’est égal ! pour Tarascon, c’était déjà bien joli, et les personnes de la ville, admises le dimanche à l’honneur de contempler le baobab de Tartarin, s’en retournaient pleines d’admiration.
 
Pensez quelle émotion je dus éprouver ce jour-là en traversant ce jardin mirifique !… Ce fut bien autre chose quand on m’introduisit dans le cabinet du héros.
 
Ce cabinet, une des curiosités de la ville, était au fond du jardin, ouvrant de plain-pied sur le baobab par une porte vitrée.
 
Imaginez-vous une grande salle tapissée de fusils et de sabres, depuis en haut jusqu’en bas ; toutes les armes de tous les pays du monde : carabines, rifles, tromblons, couteaux corses, couteaux catalans, couteaux-revolvers, couteaux-poignards, kriss malais, flèches caraïbes, flèches de silex, coups-de-poing, casse-tête, massues hottentotes, lassos mexicains, est-ce que je sais !
 
Par là-dessus, un grand soleil féroce qui faisait luire l’acier des glaives et les crosses des armes à feu, comme pour vous donner encore plus la chair de poule… Ce qui rassurait un peu pourtant, c’était le bon air d’ordre et de propreté qui régnait sur toute cette yataganerie. Tout y était rangé, soigné, brossé, étiqueté comme dans une pharmacie, de loin en loin, un petit écriteau bonhomme sur lequel on lisait :
 
Flèches empoisonnées, n’y touchez pas !
 
Ou :
 
Armes chargées, méfiez-vous !
 
Sans ces écriteaux, jamais je n’aurais osé entrer.
 
Au milieu du cabinet, il y avait un guéridon. Sur le guéridon, un flacon de rhum, une blague turque les Voyages du capitaine Cook, les romans de Cooper, de Gustave Aimard, des récits de chasse, chasse à l’ours, chasse au faucon, chasse à l’éléphant, etc. Enfin, devant le guéridon, un homme était assis, de quarante à quarante-cinq ans, petit, gros, trapu, rougeaud, en bras de chemise, avec des caleçons de flanelle, une forte barbe courte et des yeux flamboyants ; d’une main il tenait un livre, de l’autre il brandissait une énorme pipe à couvercle de fer, et, tout en lisant je ne sais quel formidable récit de chasseurs de chevelures, il faisait, en avançant sa lèvre inférieure, une moue terrible, qui donnait à sa brave figure de petit rentier tarasconnais ce même caractère de férocité bonasse qui régnait dans toute la maison.
 
Cet homme, c’était Tartarin, Tartarin de Tarascon, l’intrépide, le grand, l’incomparable Tartarin de Tarascon.