VIII - Lions de l’Atlas, dormez !

 
 
Dormez sans peur, grands lions roux ! Le Tarasconnais cherche sa Mauresque. Depuis l’histoire de l’omnibus, le malheureux croit sentir perpétuellement sur son pied, sur son vaste pied de trappeur, les frétillements de la petite souris rouge ; et la brise de mer, en effleurant ses lèvres, se parfume toujours – quoi qu’il fasse – d’une amoureuse odeur de pâtisserie et d’anis.
 
Il lui faut sa Maugrabine !
 
Mais ce n’est pas une mince affaire ! Retrouver dans une ville de cent mille âmes une personne dont on ne connaît que l’haleine, les pantoufles et la couleur des yeux ; il n’y a qu’un Tarasconnais, féru d’amour, capable de tenter une pareille aventure.
 
Le terrible c’est que, sous leurs grands masques blancs, toutes les Mauresques se ressemblent ; puis ces dames ne sortent guère, et, quand on veut en voir, il faut monter dans la ville haute, la ville arabe, la ville des Teurs.
 
 
Dire que notre Tartarin traversait sans émotion cette cité formidable, ce serait mentir. Il était au contraire très ému, et dans ces ruelles obscures, dont son gros ventre tenait toute la largeur, le brave homme n’avançait qu’avec la plus grande précaution, l’œil aux aguets, le doigt sur la détente d’un revolver. Tout à fait comme à Tarascon, en allant au cercle. À chaque instant il s’attendait à recevoir sur le dos toute une dégringolade d’eunuques et de janissaires, mais le désir de revoir sa dame lui donnait une audace et une force de géant.
 
Huit jours durant, l’intrépide Tartarin ne quitta pas la ville haute. Tantôt on le voyait faire le pied de grue devant les bains maures, attendant l’heure où ces dames sortent par bandes, frissonnantes et sentant le bain ; tantôt il apparaissait accroupi à la porte des mosquées, suant et soufflant pour quitter ses grosses bottes avant d’entrer dans le sanctuaire…
 
 
« Elle est peut-être là ! » se disait-il.
 
Alors, si la rue était déserte, il s’approchait d’une de ces maisons, levait le lourd marteau de la poterne basse, et frappait timidement… Aussitôt les chants, les rires cessaient. On n’entendait plus derrière la muraille que de petits chuchotements vagues, comme dans une volière endormie.
 
« Tenons-nous bien ! » pensait le héros. « Il va m’arriver quelque chose ! »
 
Ce qui lui arrivait le plus souvent, c’était une grande potée d’eau froide sur la tête, ou bien des peaux d’oranges et de figues de Barbarie… Jamais rien de plus grave…
 
Lions de l’Atlas, dormez !